Tiraillée entre conflits armés et crises à répétition, Tripoli peine à se relever. Déjà affaiblie par la situation politique, économique et sécuritaire du pays, cette ville du Liban-Nord à 30 kilomètres de la frontière syrienne, est fortement affectée par l’afflux de réfugiés depuis le début du conflit syrien en 2011. Ils seraient entre 200 et 300 000, selon les chiffres de l’ONU, qui estime que la population de la ville aurait augmenté de 35 à 50%. De quoi mettre à mal une infrastructure déjà fragile, la moitié des résidents vivant aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté.

Déjà présentes quand la guerre civile éclate au Liban, les tensions sociales, communautaires et confessionnelles, ont persisté au fil des années. A plusieurs reprises, entre 2008 et 2014, des affrontements armés ont éclaté entre les quartiers de Bab al-Tebbaneh et Jabal Mohsen, respectivement majoritairement sunnites et alaouites. Mais il serait faux de réduire ces dissensions à la simple perspective confessionnelle. Les affiliations politiques rivales, qui opposent partisans et adversaires du régime du président syrien Bachar el-Assad, contribuent à ce contexte déjà explosif.

Ces affrontements ont laissé des séquelles encore visibles aujourd’hui, cinq ans après la mise en place d’un plan sécuritaire qui a fait taire les armes. Malgré les initiatives de la municipalité de Tripoli et des ONG locales et internationales déployées sur le terrain, les faiblesses institutionnelles et un manque de coordination entre les différents acteurs locaux ne leur permettent pas d’intervenir de manière efficace auprès des populations vulnérables de la ville et de ses environs.

Taking the Lead

Un projet novateur, porté par l’ONG Bioforce, le Groupe URD et l’ONG tripolitaine North LEDA, pourrait changer la donne. D’une durée de trois ans, ce projet est le premier à employer le cadre méthodologique de l’initiative Taking the Lead – développée conjointement par Bioforce et Oxfam en 2017 – destiné à appuyer les organisations de la société civile et la municipalité à identifier leurs propres priorités de renforcement organisationnelles et collectives. Cette initiative se veut être un processus de réflexion piloté par les acteurs locaux pour replacer ces derniers au centre de la réponse humanitaire sur leur territoire.

Mieux communiquer, mieux s’organiser, pour mieux aider. Un défi conséquent à relever, alors que plus de 3 000 organisations de la société civile (OSC) sont présentes sur le terrain. Mais une meilleure communication n’est pas le seul défi auquel fait face la société civile, d’après Liliane Nasrallah, la coordinatrice programme pays de Bioforce au Liban. “Les OSC dépendent trop des projets des bailleurs de fonds et n’ont pas eu l’occasion de renforcer leurs capacités hors des cadres des projets. Quand on a entamé l’autodiagnostic de chaque organisation, nous avons constaté que, pour ces mêmes raisons, les OSC se sont éloignées de leurs mandats et visions d’origine pour s’aligner aux priorités des bailleurs de fonds. Par exemple une OSC qui travaille dans le domaine de la protection de l’enfance peut mettre en œuvre un projet dans le domaine de la santé ou de l’agriculture”, précise la coordinatrice.

Une initiative telle que celle proposée par Bioforce peut également se heurter à la méfiance des acteurs locaux. Il s’agit de les convaincre de se mobiliser pour un énième projet mené par une organisation internationale. Mais les outils développés dans le cadre de Taking the Lead se démarquent des autres outils utilisés jusque-là, et encouragent les OSC à prendre en main l’autodiagnostic de leurs capacités organisationnelles. Bioforce les accompagne dans cette démarche, sans pour autant interférer dans le processus. “Ils ont vu la différence avec Taking the Lead puisque l’autodiagnostic touche l’ensemble des domaines de travail de l’organisation, et non pas un programme ou un département. C’était motivant de voir qu’ils s’intéressent bien à l’outil et que pour la première fois l’équipe entière de chaque OSC se rassemble pour discuter de leur existence, leur rôle, leurs points forts et leurs faiblesses en tant qu’organisation”, ajoute Liliane Nasrallah.

Contexte tendu

De son côté, Johanna Baché, du Groupe URD, chargée pour sa part du volet d’accompagnement de la municipalité de Tripoli , estime que l’enjeu majeur “réside dans la capacité à faire dialoguer les différents acteurs – au sein de la Municipalité même, et entre élus et OSC – afin de promouvoir des échanges constructifs pour la mise en place d’un mécanisme de coordination et de gestion de crise pérenne”. Le contexte actuel, particulièrement tendu, contribue aux difficultés. La municipalité de la ville est restée sans maire durant plusieurs semaines, rendant la suite des événements difficiles à prévoir, selon Johanna Baché. Un nouveau maire, très impliqué sur le plan associatif, vient toutefois d’être élu pour les trois prochaines années, laissant espérer la mise en œuvre des activités prévues à destination de la Municipalité de Tripoli, de manière à ce que l’ensemble des acteurs tripolitains initialement ciblés soient reconnus et renforcés pour faire face aux crises sur leur territoire.