Témoignage : « En Ukraine, mon quotidien était rythmé par les alertes anti-aériennes »
Prendre un congé sans solde au début du printemps pour partir s’engager auprès d’une ONG Française présente en Ukraine, c’est le choix qu’a fait l’un de nos collaborateurs. Rentré d’un mois en mission en tant que chef de projet à Dnipro, il raconte ce qu’il a vu.
« Les alertes anti-aériennes maintiennent une pression psychologique »
« Je rentre d’un mois en Ukraine où j’ai pu retrouver le terrain humanitaire en prenant un congé sans solde pour cette mission. C’était ma première fois en Ukraine, ma première mission en Europe de l’Est, pour ce qui est une crise majeure, peut-être la crise de la décennie.
Je suis parti de Paris jusqu’en Roumanie en avion, puis jusqu’à Dnipro à l’est de Ukraine en voiture : il faut plus de 20 heures de route. On était entre 50 et 100km des combats les plus proches, mais il y a quand même des bombardements un peu partout dans le pays. Le quotidien est un peu rythmé par les alertes anti-aériennes, de jour comme de nuit, qui maintiennent une pression psychologique.
Pour autant, la vie continue : on entend les alarmes anti-aériennes et on voit des gens qui promènent leurs enfants en poussette. La nuit on ne se réveille plus pour se mettre à l’abri. »
« Plus on se rapproche de lignes de front, plus le camion peut être ciblé »
« Dnipro, c’est la base arrière de l’aide humanitaire dans le Donbass. La manière de travailler sur cette crise est à la fois très semblable et très différente de mes précédentes missions. Ce qui est semblable c’est le travail humanitaire, il consiste aujourd’hui principalement à répondre aux besoins de base : alimentaires, moyens de subsistance, etc. Ce qui est différent, c’est que du coup, il n’y a aucune culture humanitaire dans le pays. Les gens ont du mal à faire la différence entre l’aide humanitaire et l’effort de guerre. Il est assez difficile pour les ONG de sensibiliser à la différence entre aider les civils et aider les militaires. Pour la plupart des gens, c’est même plus important d’aider les soldats. Nous, on respecte les principes humanitaires, l’impartialité, la neutralité, etc. mais c’est difficile à défendre.
La finalité du travail de mon organisation, c’est de pouvoir rassembler les biens humanitaires dans un entrepôt et les expédier dans les zones difficiles avec des petits camions, à l’est et dans le sud : là où il y a les combats. Mon job, ça a été de recruter des équipiers ukrainiens, ouvrir un entrepôt et produire une série de documents qui aide les ONG : savoir comment est structuré le marché des transporteurs, quels sont les différents axes, quelles routes, combien ça coûte, quelles procédures ? Le secteur économique est hyper perturbé et pourtant il reste fort, résilient et dense. Les infrastructures sont là, les moyens de transport sont modernes, les routes restent utilisables. Mais plus on se rapproche de lignes de front, plus le camion peut être ciblé délibérément ou par accident. Notre rôle c’est de créer un cadre dans lequel ces transports sont faits de manière sécurisés. Donc on prévoit des moyens de communication pour ces transporteurs, un plan B si la route principale est coupée, un kit de survie s’ils se retrouvent bloqués sur la route ou qu’ils doivent se réfugier dans un abri. »
« Même les ONG internationales ont du mal à accéder aux blessés et aux hôpitaux. »
« On essaie d’avoir le plus possible de main d’œuvre locale. Quand je suis parti, 40 staffs nationaux ont été recrutés. Il y a déjà un tissu associatif existant, important, sur lequel on peut s’appuyer ainsi que de nombreux partenaires locaux. Au fil du temps, et comme souvent, on aura de moins en moins d’expatriés et de plus en plus de locaux. Notamment parce qu’il y a beaucoup d’activité économique mise en veille : il y a de la main d’œuvre disponible, qualifiée et qui a envie de s’engager.
Dnipro est la base de transit, pour les déplacés : les gens arrivent par train, voiture ou minibus. Ils sont pauvres, parce que ceux qui ont les moyens sont partis dès le début et ceux qui ont moins de moyens sont partis après. Ceux qui partent maintenant, c’est vraiment des gens qui ne souhaitaient pas partir, qui pensaient pouvoir rester dans leur maison quoi qu’il arrive et qui sont quand même forcés de partir. Il y a beaucoup de personnes âgées par exemple. Les personnes déplacées ont souvent vécu un traumatisme : des projets psycho-sociaux sont donc mis en place dans tout le pays. Il y a des blessés de guerre aussi, mais c’est difficile d’avoir ces infos-là, parce que c’est une information sensible. Et du coup, les deux parties, la Russie et l’Ukraine, cherchent à cacher le nombre de blessés, les types de blessures. Même les ONG internationales ont du mal à accéder aux blessés et aux hôpitaux. Il y a une relation de confiance à construire avec les autorités, puisqu’une partie des blessés sont des soldats. Dans le reste du pays, les gens qui étaient partis au tout début commencent à rentrer. Quand j’ai passé la frontière ukrainienne fin avril, il y avait plus de gens qui revenaient en Ukraine que de gens qui partaient.
Même si c’était court, même si j’aurais aimé pouvoir faire plus, aujourd’hui, ça me donne des éléments sur les évolutions du travail de logisticien et d’humanitaire sur une telle crise ; crise qui -a priori- va durer, qui va mobiliser des moyens financiers énormes, certainement au détriment d’autres crises d’ailleurs. Ce que cette crise peut nous enseigner aussi notamment en terme de localisation et comment travaillent les ONG locales. C’est aussi utile pour les discussions avec les apprenants de cette année qui pour un certain nombre seront déployés là-bas. »