Quinze ans d’humanitaire, une vocation intacte

Camille Gillardeau, Alumni Bioforce aujourd'hui directrice des formations sécurité pour IRC « Après quinze ans d’humanitaire, je sais toujours pourquoi je me lève le matin. Je me sens humanitaire dans mes veines. » Dans son bureau d’Amman, en Jordanie, Camille Gillardeau tout en retraçant son parcours, mesure sa chance. Chance qu’elle a souvent provoquée, chance de continuer à se lever chaque matin avec le sentiment d’être utile. « Je vois ce qui se passe sur LinkedIn, tous ces gens qui cherchent un travail. Moi j’ai un super poste, la confiance de mes pairs. Je suis hyper chanceuse. »

Cette certitude n’avait pourtant rien d’une évidence. Longtemps avant de travailler au sein de l’ONG International Rescue Committee (IRC), l’une des plus grandes organisations au monde, fondée par Albert Einstein en 1933, Camille ne se destinait pas à l’humanitaire. Elle s’épanouit dans le secteur culturel, co-dirige pour le ministère de la Culture le Centre Culturel de Rencontre du couvent Sainte-Marie de La Tourette, près de Lyon. Jusqu’à ce jour d’octobre 2009 où, lors d’une formation de secourisme à la Croix-Rouge, elle découvre qu’elle peut contribuer à sauver une vie. « J’étais bouleversée. J’ai réalisé que moi, petite Camille, j’étais capable de ça. Ça a changé ma vie. » Bénévole, puis secouriste en équipe, elle croise des humanitaires qui lui soufflent un nom : Bioforce. Quelques mois plus tard, elle intègre la promotion 2010 de la formation Coordinateur de projet.

À Vénissieux, elle débarque talons hauts et robe noire dans un univers de terrain. « J’étais une princesse », résume-t-elle avec autodérision. Mais l’intégration se fait dans la joie. « C’était fabuleux. On s’est choisis dès la sélection. Je traverse alors une période personnelle difficile, et les formateurs sont là, pas seulement comme enseignants, mais comme soutiens humains. » Quinze ans plus tard, elle reste proche de plusieurs camarades de promo. « On est un noyau solide. Bioforce, c’est un talisman. Quand on se croise ailleurs, on sait immédiatement qui on est. »

« Bioforce, c’est un talisman. Quand je croise un alumni Bioforce, on sait immédiatement qui on est. »

De Bioforce au terrain : les débuts d’une vocation humanitaire

À peine sortie, elle rejoint Médecins sans frontières. « Je ne voulais ni partir avec MSF, ni aller au Congo… J’y suis allée quand même. » Direction Kinshasa. Le baptême du feu est rude. Camille vit dans une immense maison sécurisée avec dix-neuf collègues-colocataires, et doit gérer sa maladie chronique loin de tout centre médical. « La princesse a pris des claques. Mais j’ai appris à survivre. » Pour tenir, elle photographie son quotidien et en fait des récits. « Ça me permettait de transformer la dureté en histoires. »

Suivent huit années avec MSF, en Afghanistan, en Sierra Leone pendant Ébola, en Inde durant un an dans la jungle auprès des populations tribales de la région reculée de Chattisgarh, ultime bastion d’une guérilla maoïste vieille de plus d’un demi-siècle. Chaque mission laisse son empreinte. La faim, les maladies, les deuils, les équipes qui tombent. Elle garde pourtant une candeur : « Je m’étais dit, le jour où je ne m’émerveillerai plus, j’arrêterai. » En Inde, son instinct de sécurité s’affirme : elle gère des incidents graves, se découvre capable de protéger les autres. Ses collègues la poussent : « C’est ce que tu devrais faire : responsable de la sécurité » Retour à Lyon où elle rejoint Handicap International pour apprendre. « C’était une famille, j’y ai retrouvé tellement d’anciens Bioforce. Je m’y suis sentie si bien, j’étais tellement proche des valeurs de cette organisation. On s’est quittés comme dans un couple, difficilement mais avec respect. Un manager a gardé ma lettre de départ et des années plus tard m’a dit la relire parfois pour se rappeler de ne jamais oublier ce qui compte vraiment : le terrain. »

Camille Gillardeau, Alumni Bioforce aujourd'hui directrice des formations sécurité pour IRC. Sur cette photo, Camille, en discussion avec ses collègues est en mission pour Handicap International

La suite ressemble à une aventure humaine hors norme, où chaque mission s’enchaîne comme une étape d’ultra trail. Coordinatrice sécurité en Flying Coordinator, elle change de pays chaque mois. « Je vivais avec deux passeports, une discipline de fer : sport, yoga, méditation, écriture. J’étais une machine de guerre.  » Son corps, pourtant, finit par lâcher. Trois médecins lui disent d’arrêter : si elle continue à ce rythme, elle sera morte dans six mois. « J’étais prête à tout sacrifier pour ce métier… ma famille m’a protégé et convaincue de changer. »

Sécurité humanitaire : un combat au service des équipes

C’est alors qu’IRC la contacte. Elle accepte un poste régional de sécurité pour l’Afrique de l’Est à Nairobi, puis prend ses marques dans une organisation américaine aux moyens bien différents de MSF. « Quand j’ai rendu le trop-perçu de mon per diem après la mission, on m’a prise pour une extra-terrestre. Quand j’ai vu mon premier salaire, j’ai cru qu’il y avait une erreur. Je l’ai mal vécu. J’avais encore cette idée qu’il faut souffrir pour être un vrai humanitaire. Ce qui est complètement faux, mais que je garde un peu malgré moi. » Le Covid change la donne : elle apprend à soutenir ses équipes à distance, à inventer d’autres manières de travailler.

Camille Gillardeau, Alumni Bioforce aujourd'hui directrice des formations sécurité pour IRC

Depuis 2024, elle occupe un poste global au service Sécurité du siège d’IRC : directrice des formations à la sécurité. Quarante-cinq pays, deux permanents dans son équipe et une cascade de 130 formateurs déployés au service des personnels et partenaires de l’ONG. Son objectif : concevoir des formations efficaces et adaptées, sans traumatiser. « Les actions chocs comme on l’a pratiqué autrefois dans certaines organisations n’ont jamais servi à sauver une vie. Nous, on travaille sur le duty of care, le droit de se retirer sans honte. »

Les crises actuelles, du Soudan à Gaza, rappellent l’urgence de cette approche. « J’ai reçu dans mes bras un collègue de 65 ans, un vétéran du Rwanda, un homme qui a vécu des expériences très dures par le passé et qui s’est effondré comme un enfant, à son retour de Gaza. C’est terrible. Nos équipes là-bas vivent et voient des choses qui dépassent tout ce qu’on a pu voir auparavant. Comment apporter de l’aide et des soins quand il n’y a plus rien, au milieu des gravats, des débris des maisons ? Comment faire quand nos équipes sur place n’ont plus elles-mêmes à manger, ni accès à l’hygiène ? La gestion des corps en putréfaction est un des problèmes principaux qui se pose depuis plusieurs mois. Nos équipes sont volontaires pour aller à Gaza, mais je dois rappeler à chacun qu’il a sur place le droit de dire « stop, je veux rentrer ». C’est le principe « Individual Right to Withdraw », le droit de se retirer d’une opération si on ne se sent pas en sécurité. »

Au plus près des personnels en première ligne, Camille s’emploie à dominer son syndrome vicariant, un traumatisme psychologique indirect causé par l’exposition répétée et l’empathie envers la souffrance et les récits traumatisants d’autrui. Ce trauma, longtemps ignoré, s’infiltre insidieusement chez les personnes qui recueillent la parole et les récits des victimes. « Ayant moi-même vécu des crises sécuritaires graves et des incidents de sécurité où ma vie a été en danger, mon cerveau doit gérer le sentiment de vivre par procuration le choc post-traumatique de mes collègues et ce n’est pas toujours simple car il pense que c’est moi qui le vis chaque jour en direct. Ce sont des vraies questions à gérer, à discuter. Heureusement, chez IRC, on en parle, on a des formations, on a une importante unité de Duty of care qui est formidable. »

Quinze ans après, Camille revendique d’avoir gardé son identité d’humanitaire féminine : « On peut faire ce métier sans se travestir ; on peut, si on le souhaite, sortir des clichés de l’humanitaire en treillis et croquenots et être soi-même ; c’est possible et inspirant pour d’autres.  »

À ceux qui veulent suivre sa voie, elle glisse un conseil simple et vital : prendre soin de soi ! « Le sommeil, c’est ce qu’on néglige le plus. Il faut savoir se reposer, ne pas se brûler. Ce n’est plus sexy le temps où on dormait 2 heures par nuit et où on finissait en burnout en fin de mission. J’aimerais que cette époque soit révolue. On peut être efficace en prenant soin de soi !  »

Elle reste aujourd’hui une ambassadrice naturelle de Bioforce, qu’elle aimerait voir s’installer au Moyen-Orient. « Il y a ici un vivier incroyable, en Syrie, en Irak, en Jordanie. Il manque un socle technique, un état d’esprit humanitaire. Bioforce pourrait apporter ça. Si vous avez besoin de moi, je suis là ! » Sa voix s’anime, comme si elle était encore étudiante, candidate enthousiaste au concours d’entrée. « Je reste la voix du terrain. J’ai commencé là, et je n’oublie pas d’où je viens. C’est mon moteur. » Quinze ans après avoir pratiqué les premiers secours sur un mannequin de la Croix-Rouge, Camille Gillardeau se lève encore chaque matin avec la même certitude : l’humanitaire coule dans ses veines.

Comme Camille, choisissez un métier qui a du sens

Les ONG ont besoin de professionnels qualifiés, capables de répondre efficacement aux crises humanitaires et d’aider les populations vulnérables. Et si c’était vous ? Que vous soyez jeune diplômé, humanitaire expérimenté, bachelier, ou salarié en transition professionnelle : trouvez à Bioforce la formation qui vous correspond.