Rafah, mai 2024 : un alumni Bioforce, humanitaire pris au piège sous les bombes
En mai 2024, Pascal, diplômé Bioforce de la promotion 1985, rejoint Rafah à Gaza avec Médecins du Monde pour soutenir ses collègues assiégés. Entre bombardements, blocus et évacuation sous escorte militaire, il raconte une mission où l’urgence se mêle à l’impuissance, et où l’humanité résiste malgré tout.
Depuis le 7 octobre 2023, date de l’attaque du Hamas en Israël, la bande de Gaza est plongée dans une crise humanitaire sans précédent. Israël a lancé une offensive massive qui a fait plus de 60 000 morts et plusieurs centaines de milliers de blessés, un chiffre largement sous-estimé selon des enquêtes indépendantes. Les bombardements ont ravagé les infrastructures et la famine est officiellement déclarée alors que la situation empire rapidement. En parallèle, les obstacles pour acheminer l’aide sont permanents : au moins 369 travailleurs de l’aide ont été tués.
Il y a un an, quelques mois après le début de l’offensive israélienne, Pascal Simon, alumni Bioforce 1985, coordinateur voltigeur pour la cellule d’urgence de Médecins du Monde France, est envoyé à Rafah pour épauler ses collègues sur place, avec son binôme, coordinatrice médicale. Il raconte une mission où l’urgence se mêle à l’impuissance, et où l’humanité résiste malgré tout.
« À Rafah, j’ai eu pour la première fois le sentiment d’être prisonnier »
Pascal, vous êtes diplômé de la promotion 1985 de Bioforce. Qu’est-ce qui vous a amené à Gaza en 2024 ?
Pascal Simon : « Médecins du Monde m’a sollicité quelques semaines après le 7 octobre. L’ONG avait déjà des équipes en place depuis plus de vingt ans, à Gaza et en Cisjordanie, mais la situation était devenue ingérable : les bureaux avaient été bombardés, les collègues déplacés à plusieurs reprises, et il était quasiment impossible de faire entrer des médicaments.
Quand on m’a appelé, je me suis demandé ce que je pouvais apporter, à mon âge et après toutes ces années. Mais c’était clair : il y avait un besoin urgent de logistique et de coordination. On m’a demandé d’épauler le bureau en Cisjordanie, à Naplouse, et de trouver des solutions pour approvisionner Gaza en médicaments. On a tout envisagé : passer par Israël, par la mer, par l’Égypte… mais très vite, j’ai compris que la mission allait m’emmener plus loin, jusqu’à Rafah, pour soutenir mes collègues réfugiés là-bas. »
Comment s’est passé votre arrivée à Rafah, et quelles étaient les conditions sur place ?
Pascal : « J’ai pu rejoindre un convoi humanitaire depuis Le Caire après un trajet interminable. C’était une expédition en soi : des heures de fouilles au poste-frontière, des contrôles répétés par les Égyptiens puis les Palestiniens. Rien que ça, c’est une épreuve : tu es déjà épuisé avant même d’entrer. Nous transportions de l’argent, des vêtements, des produits d’hygiène, et aussi des petites choses symboliques comme du café ou du Nutella. Ça paraît dérisoire, mais quand tu as tout perdu, retrouver un goût familier, ça redonne un peu de force, une façon de dire : « Vous n’êtes pas seuls. ». Les collègues nous l’ont dit : ce n’est pas seulement l’aide matérielle, c’est le fait qu’on soit venus, qu’on soit là. Nous sommes finalement entrés dans Rafah début mai 2024.
Le quotidien à Rafah, c’était le sentiment permanent d’être pris au piège. Les bombardements ne s’arrêtaient jamais. Les drones tournaient jour et nuit, avec ce bruit de tondeuse au-dessus de la tête qui te rend fou. Les tentes où nous avions installé des centres de santé tenaient à peine debout. Plus d’eau potable, plus de banque, quasi plus de nourriture.
Et puis ce sentiment de claustrophobie… Gaza, c’est comme une prison à ciel ouvert. J’ai déjà connu des zones de guerre, j’ai déjà été encerclé, mais c’était la première fois que je ressentais ça : l’impossibilité totale de bouger, l’impuissance absolue. On se sentait prisonniers, et pourtant on devait continuer, pour les collègues, pour les familles qui venaient chercher un minimum de soins. »
Rafah, printemps 2024 (vidéo de Pascal Simon)
Vous avez également dû organiser l’évacuation de vos collègues. Comment cela s’est-il déroulé ?
Pascal : « C’était sans doute la partie la plus difficile. On savait qu’il fallait sortir, mais chaque tentative échouait. Nous avons été hébergé par Médecins Sans Frontières dans une maison proche d’un hôpital car notre bureau de Rafah était passé en zone rouge et susceptible d’être rasé. Chaque jour, on espérait pouvoir ressortir, mais la zone est rapidement passée sous contrôle israélien et les bombardements ont commencé. Alors nous nous sommes inscrits sur les listes d’évacuation gérées par les Nations Unies, aux côtés d’autres ONG, en espérant qu’un convoi puisse partir. On patientait, et le lendemain on apprenait que tout était annulé. Alors on attendait encore, avec ce sentiment que ça ne finirait jamais. On voyait bien que tout pouvait basculer d’une heure à l’autre.
Finalement, l’ordre est venu : nous serions extraits vers la Jordanie. Nous avons quitté Rafah dans un convoi des Nations Unies. Imaginez : des véhicules blindés devant et derrière, des chars qui tirent à quelques dizaines de mètres, des mortiers qui tombent, et vous, dans une voiture, à l’arrêt au milieu de ce chaos. Chaque explosion faisait vibrer la carrosserie. À un moment, un mortier est tombé si près que j’ai cru que tout allait s’arrêter là. Tu n’as aucune prise, tu attends. C’est irréel. On se demande ce qu’on fait là, mais en même temps, on n’a pas le choix : on attend que ça passe.
Arriver en Jordanie, après tout ça, c’était presque incompréhensible. Tu passes d’un monde à l’autre en quelques heures. Mais tu restes avec cette impression d’avoir été otage de la guerre, spectateur d’un chaos dont tu ne sors jamais vraiment indemne.
Qu’est-ce que vous retenez de cette mission, sur un plan humain ?
Pascal : « Ce qui m’a le plus marqué, c’est la dignité des Gazaouis. Beaucoup avaient perdu la moitié de leur famille, parfois leurs enfants, et malgré tout, ils trouvaient la force de nous dire : « On est désolés de vous mettre en danger. » Ils ont tout perdu et ils pensent encore aux autres. C’est bouleversant. Dans ces conditions, notre rôle n’est pas seulement d’apporter du matériel. Il est aussi moral : montrer qu’ils ne sont pas abandonnés, qu’on reste présents à leurs côtés malgré les risques. Ça confirme une conviction forgée depuis Bioforce : l’aide humanitaire, ce n’est pas seulement acheminer des médicaments ou distribuer de la nourriture. C’est être présent, témoigner, montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls. Et ça, parfois, ça compte autant qu’un camion de matériel.
J’ai aussi vu la force de mes collègues locaux. Trente-trois Gazaouis qui, malgré la faim, la fatigue, l’absence de tout, continuaient à se battre pour maintenir un semblant de service de santé, même sous des tentes. Pour moi, c’est une leçon d’humilité. Quand je pense à ce que m’a appris Bioforce il y a quarante ans – improviser, trouver des solutions, rester debout dans le chaos – je mesure à quel point cette formation reste essentielle. C’est ce qui m’a permis de tenir, et c’est ce que je veux transmettre aux jeunes qui se lancent aujourd’hui. »
Photo prise à Rafah (Gaza) au printemps 2024 par Pascal, alumni Bioforce et en mission pour Médecins du Monde
Photo prise à Rafah (Gaza) au printemps 2024 par Pascal, alumni Bioforce et en mission pour Médecins du Monde
Photo prise à Rafah (Gaza) au printemps 2024 par Pascal, alumni Bioforce et en mission pour Médecins du Monde
Photo prise à Rafah (Gaza) au printemps 2024 par Pascal, alumni Bioforce et en mission pour Médecins du Monde
Photo prise à Rafah (Gaza) au printemps 2024 par Pascal, alumni Bioforce et en mission pour Médecins du Monde
Photo prise à Rafah (Gaza) au printemps 2024 par Pascal, alumni Bioforce et en mission pour Médecins du Monde
Le travail des humanitaires, souvent invisible, se déroule parfois dans des conditions extrêmes et à Gaza, comme ailleurs, il faut improviser, s’adapter, tenir malgré le danger et le sentiment d’impuissance. Aujourd’hui encore, la bande de Gaza reste marquée par les bombardements, les déplacements massifs et un accès à l’aide humanitaire dramatiquement restreint.
Dans ce contexte, chaque geste de solidarité compte. Pour les équipes locales comme pour les humanitaires internationaux, il s’agit d’un combat quotidien pour maintenir un minimum de soins, d’alimentation et de dignité. Plus que jamais, l’expérience et la résilience des acteurs humanitaires formés à Bioforce trouvent ici toute leur raison d’être.
Gaza : Retrouvez nos autres témoignages d’alumni
Camille Gillardeau – Directrice des formations à la sécurité, International Rescue Committee (IRC) « J’ai reçu dans mes bras un collègue de 65 ans, un vétéran du Rwanda, un homme qui a vécu des expériences très dures par le passé et qui s’est effondré comme un enfant, à son retour de Gaza. C’est terrible. Nos équipes là-bas vivent et voient des choses qui dépassent tout ce qu’on a pu voir auparavant. Comment apporter de l’aide et des soins quand il n’y a plus rien, au milieu des gravats, des débris des maisons ? Comment faire quand nos équipes sur place n’ont plus elles-mêmes à manger, ni accès à l’hygiène ? La gestion des corps en putréfaction est un des problèmes principaux qui se pose depuis plusieurs mois. » Lire l’article complet
François Galazka, Médecins Sans Frontières « Ce blocus, MSF ne l’a jamais vu ailleurs. Il n’y a que quatre points de distribution dans la bande de Gaza, donc des bousculades, des morts et des blessés tous les jours. Les gens doivent faire de grands déplacements. Ils se font tirer dessus, à distance, par des soldats israéliens, sans raison, alors qu’ils ne sont pas armés sur les centres de distribution. » Lire l’article complet