Alexandre Fort, un logisticien humanitaire engagé pour la solidarité locale
Alumni Bioforce (promo 2009), Alexandre Fort incarne un parcours atypique dans le secteur de la logistique humanitaire. Avec plusieurs années de terrain avec Médecins Sans Frontières et une carrière dans la logistique privée, il pilote aujourd’hui l’Entrepôt Solidaire de la Fondation CMA CGM à Marseille. Témoignage d’un logisticien au service de la solidarité.
Contre la précarité alimentaire, le plus grand entrepôt partagé de France
À Marseille, Alexandre Fort coordonne aujourd’hui l’Entrepôt Solidaire de la Fondation CMA CGM, un projet unique au service des associations de lutte contre la précarité. Dans ce bâtiment mutualisé de 5 000 m², avec 200 m² de chambre froide, cinq associations — le Secours Populaire, les Restos du Cœur, la Croix-Rouge française, l’Andes et le Secours Catholique — bénéficient d’un outil logistique moderne pour mener leurs distributions alimentaires. « Lorsque je suis arrivé, les travaux avaient déjà démarré, et fin 2024 les associations ont pu s’y installer. Depuis janvier, l’entrepôt tourne à plein régime. »
Chargé de la coordination générale, Alexandre assure la répartition des moyens, la conformité réglementaire du site (sécurité incendie, maintenance des engins de manutention, contrôles périodiques), conseille les associations sur l’optimisation de leur supply chain et pilote des projets transverses en hygiène, santé et environnement.« Je fais beaucoup de pédagogie et d’accompagnement dans la conduite du changement. Cependant quand on parle de sécurité, les gens sont réceptifs, ça nécessite juste des bonnes habitudes à prendre et un peu de moyens. » La gestion des déchets, leur valorisation, la sensibilisation au tri font également partie de ses priorités.
« Pour moi c’est indispensable d’alterner missions humanitaires et travail en France ».
De Bioforce à la logistique humanitaire
Avant d’en arriver là, le chemin d’Alexandre passe par l’humanitaire international et trouve sa source dans un questionnement personnel : « La source de mon engagement, ce sont des voyages seul, en mode sac à dos, notamment au Togo. J’avais un cursus assez classique, commerce-marketing, mais je ne me suis jamais vraiment retrouvé dans ces valeurs-là et dans ces choix professionnels-là. » Le déclic vient d’une rencontre avec Bioforce : « Je suis parti travailler à l’étranger et j’ai entendu parler de Bioforce par des connaissances. Je me suis renseigné sur les débouchés et j’ai postulé. J’ai passé le concours, j’ai suivi la formation Logisticien : tout est parti de là. »
À Bioforce, il découvre une approche très concrète, très loin du cadre scolaire traditionnel : « La formation sort du cadre très scolaire, avec les applications sur le terrain et beaucoup de modules très différents les uns des autres. » Il en garde une vision claire du métier : « On sait monter une chaîne de froid, on sait faire un diagnostic basique sur un véhicule, en gros, on sait de quoi on parle et ça, pour moi, c’est la base. »
Au-delà des compétences techniques, Bioforce lui ouvre aussi les portes de la compréhension du monde humanitaire : « Les cours te donnent une bonne idée de ce qu’est le milieu humanitaire, les différents acteurs, comment ils interagissent entre eux et avec les institutions. » La transversalité entre les formations est une richesse essentielle : « Le fait d’avoir pas mal d’exercices terrain où tu es amené à interagir avec les étudiants des autres formations est important en termes de culture métier. » Et puis, il y a l’esprit de camaraderie : « On parlait souvent de la « secte des Bioforce ». À l’époque, il y avait déjà quelque chose de fédérateur. »
Trois années intenses avec Médecins Sans Frontières
Diplômé, Alexandre rejoint directement Médecins Sans Frontières France : « En sortie de formation, on était une petite dizaine à intégrer MSF au même moment. Lors de la préparation au premier départ, on était tous réunis ! » Sa première mission le mène au Congo : «Je suis parti comme « Log hôpital » à Rutshuru, au Nord Kivu (RDC). À l’époque, c’était le plus gros projet hospitalier de MSF France avec 400 lits. » Pendant trois ans, il enchaîne les missions avec MSF, tout en rencontrant celle qui deviendra sa compagne, médecin. Mais la vie d’humanitaire à plein temps n’est pas sans limites : « J’ai pu partir jusqu’à 11 mois sur 12 et avoir une relation dans ces conditions est un peu compliqué. Il a fallu faire un choix. »
Alterner humanitaire et secteur privé : un choix stratégique
De retour en France, il s’ancre à Marseille, intègre La Compagnie du Ponant comme gestionnaire de transport, puis responsable d’entrepôt logistique. « À La Compagnie du Ponant, j’ai énormément appris, surtout en autodidacte, et c’est là où le profil humanitaire un peu caméléon est une vraie plus-value. » Pendant dix ans, il alterne ainsi travail en France et missions humanitaires ponctuelles, toujours avec MSF.
Alexandre et sa compagne réussiront même à partir ensemble avec leurs enfants sur certaines missions : Tchad, Liberia, Palestine. « Ce n’est pas simple de partir en famille, peu de missions s’y prêtent, heureusement on a l’avantage avec ma compagne d’avoir deux profils complémentaires : moi coordinateur logistique, elle coordinatrice médicale. »
Ce double ancrage est pour lui une clef de réussite : « Pour moi c’est indispensable d’alterner missions humanitaires et travail en France. L’humanitaire est un vrai plus, mais il s’explique plus facilement en entretien face à un recruteur que sur un CV. » Il insiste sur l’importance de garder un pied dans le milieu professionnel traditionnel : « Les expériences humanitaires viennent en complément d’une base solide d’expériences professionnelles dans un secteur traditionnel. »
L’Entrepôt Solidaire : un projet unique de logistique humanitaire locale
De retour de mission en Palestine après avoir quitté La Compagnie du Ponant, Alexandre intègre CEVA Logistics à Marseille, une filiale du groupe CMA-CGM. La fondation du groupe recherche un profil atypique pour coordonner son nouvel entrepôt destiné à accueillir les sections locales et départementales de plusieurs associations. L’Entrepôt Solidaire est un projet au croisement parfait de l’expertise logistique et de l’engagement solidaire d’Alexandre. « L’Entrepôt Solidaire est un projet de la Fondation CMA CGM, partenaire privilégié de nombreuses ONG internationales, notamment grâce à des opérations comme Conteneurs d’Espoir. » Ici, il retrouve un sens profond à son travail : « Mon expérience humanitaire ne m’achète pas une légitimité auprès des associations présentes, mais ils savent qu’on a des valeurs en commun. »
Une vision durable de la logistique solidaire
Après neuf mois en poste, Alexandre regarde vers l’avenir avec lucidité : « Les envies de départs sont toujours là, surtout au vu du contexte international actuel, mais j’ai envie et besoin de me poser un peu. » À l’échelle de CEVA Logistics, l’Entrepôt Solidaire est un projet d’envergure modérée, mais pour Alexandre, il incarne quelque chose d’essentiel : « CEVA Logistics exploite parfois des entrepôts de plus de 60.000 m², l’Entrepôt Solidaire est donc de taille modeste mais c’est un très bel outil, neuf et unique en son genre à Marseille. »
Crédits photo : Fondation CMA-CGM excepté photo haut de page : Fred Romero/CC – Flickr.com