Logisticien sur le terrain, ça consiste en quoi ?

C’est très varié. Mes réponses vont être très colorées par mon expérience de 7 ans avec Médecins sans Frontières (MSF), donc très liées au médical et à la santé. Par exemple, sur ma première mission j’étais logisticien-hôpital dans un Centre de Traitement Ebola. J’avais en charge toute la gestion de la sécurité appliquée à ce type de site, la gestion de la maintenance (on était dans des tentes parce que ça devait durer quelques semaines, alors qu’en fait l’épidémie a duré des années), avec des structures semi-permanentes en bois et bâches plastiques qui demandaient beaucoup de maintenance. Il fallait s’occuper des générateurs pour l’approvisionnement en électricité et gérer le fuel, faire un peu de construction basique, monter le réseau d’eau, gérer les stocks nécessaires aux médicaux pour faire leur métier. En résumé, c’est tout le matériel et l’environnement dont les médicaux ont besoin, mais auxquels ils ne doivent pas penser pour se concentrer sur leur cœur de métier.

Un peu plus tard, sur une mission en Grèce en réponse à la crise des migrants et réfugiés, j’allais de projet en projet pour coordonner des équipes de distribution de nourriture, tentes, couvertures… C’était donc bien différent : je n’avais pas la gestion d’un site, mais je devais m’assurer d’avoir constamment les stocks nécessaires car la population des camps bougeait tout le temps, avec environ 6000 arrivées par jour. Il fallait 24 heures sur 24 avoir des équipes qui distribuaient et c’est une logistique énorme à mettre en place : il faut gérer les stocks, il faut gérer les équipes. En plus une distribution c’est complexe, car les gens doivent être en ligne et attendre, vous pouvez imaginer avec des réfugiés de différentes parties du monde, qui sont dans le froid, ça crée des tensions qu’il faut pouvoir gérer etc.

Un autre exemple encore, qui est un peu l’expérience ultime pour la logistique : les campagnes de vaccination au milieu de nulle part, comme j’ai pu l’expérimenter en RCA ou en RDC. Là la logistique est extrêmement intéressante parce que l’éventail à gérer est énorme : la mobilité des équipes qui doivent partir sur différentes routes, donc des checks de sécurité à faire pour s’assurer que tout va bien, fournir assez de motos ou de véhicules pour bouger les équipes et les équipements, assurer le respect de la chaine du froid et donc faire tourner frigos et congélateurs pour maintenir les vaccins à une température idéale pendant plusieurs jours. Sans compter la gestion de foules.

Comme vous le voyez, les tâches dépendent vraiment du contexte dans lequel vous êtes, et de la position que vous occupez dans la chaine logistique. Ce n’est jamais la même chose, c’est donc sûrement pour ça que ça fait 7 ans que je m’y consacre.

Peux-tu nous en dire plus sur ta vie d’humanitaire et tes conditions de vie ?

Depuis quelques années maintenant je suis en coordination, donc basé en capitale, et ça change clairement par rapport à d’autres contextes où on est plus isolés. Il se trouve que j’ai rencontré ma femme en mission, donc on vit ensemble et on a une vie assez confortable à Port-au-Prince car on est dans une zone un peu plus sécurisée que le reste de la ville. Demain on part en mission exploratoire dans la partie beaucoup plus rurale du pays, on va devoir dormir et travailler dans une chambre d’hôtel, et, quand on ira dans les zones sinistrées, sûrement dormir sous tente.

Autre exemple, l’an dernier au Soudan, on a ouvert une mission au milieu du désert, dans un camp de réfugiés éthiopiens qui fuyaient la guerre au Tigré. Le temps de construire notre base, on dormait sur des lits de camp. Et entre parenthèses, mettre en place une base fait partie du métier de logisticien, avec tous les basiques pour que les équipes puissent vivre de façon un peu confortable. Les équipes qui sont venues après ont eu de fait une expérience complètement différente de la mienne qui se situait en première phase d’urgence.

Pour résumer, ça peut donc aller d’un appartement à une maison, qu’on appelle une guest-house où on habite tous ensemble, à une tente ! Tout dépend où la mission vous emmène, et à quelle étape elle en est. Si on est sur une mission régulière, où les équipes viennent pour un temps long de plusieurs mois, alors souvent sont mis à disposition des appartements. Quand on envoie une équipe sous tente qui travaille 15 heures par jour, alors elle reste maximum 3 mois.

« Je fais partie de l’équipe d’urgence : pendant un an, je peux être déployé en 24-48 heures. »

Tu travailles en CDI ? Peux-tu nous parler des salaires ?

Je suis en contrat pour un an parce que je fais partie de l’équipe d’urgence : pendant un an, je peux être déployé en 24-48 heures. J’aurais dû rentrer en France aujourd’hui, et hier soir on m’a demandé de rester pour une mission exploratoire ! Faire partie des équipes d’urgence demande cette flexibilité. Mais la plupart du temps, les équipes régulières signent des CDD liés au temps de leur mission, 3, 6, 9 ou 12 mois.

Les salaires sont extrêmement variables selon les organisations. Quand je suis en mission, je ne touche pas à mon salaire car l’ONG me verse chaque mois un « per diem » pour me nourrir et je suis logé. Donc, même si j’ai un salaire un peu moins avantageux que celui que je pourrais avoir en tant que responsable de l’environnement de travail en France, je n’ai pas non plus les mêmes frais de vie.

En combien de temps s’est construite ton évolution de parcours, depuis le moment où tu es sorti de Bioforce ?

Je suis sorti de Bioforce en septembre 2013, j’ai continué dans le secteur d’où je venais, l’événementiel, jusqu’à fin 2014. Je suis revenu à Bioforce, mais cette fois pour être le logisticien d’une formation Ebola que Bioforce organisait car on en était au début de la crise en Afrique de l’Ouest. Et c’est là que MSF Belgique, qui intervenait sur cette formation, m’a proposé de les rejoindre. Ensuite, le fait d’avoir enchainé les missions m’a permis de gagner en expérience très rapidement. A chaque fois, il y avait des besoins et je montrais que je voulais aller plus loin et que j’étais potentiellement capable de tenir d’autres postes.

Il y a eu aussi beaucoup de concours de circonstances. Je suis passé de la logistique aux opérations, parce qu’il y avait un manque cruel de coordinateur de projet sur la mission où j’étais Logistics Team Leader. J’ai dû combler le manque temporairement, puis finalement j’y suis resté ! Et ensuite, pour satisfaire aux processus de validation internes, j’ai passé des entretiens de validation. MSF offre aussi beaucoup de possibilités de formation en interne, d’une semaine ou deux, en leadership, en management, en communication, sur les réponses d’urgence etc., ce qui permet aussi d’évoluer dans tes postes.

La logistique c’est technique : le métier est-il destiné autant aux hommes qu’aux femmes ?

Les choses changent, c’est encore assez masculin, on hérite d’un mouvement humanitaire qui est né dans les années 70, donc comme partout le changement prend du temps. Dans ma promo par exemple, c’était parité de mémoire, et c’est de plus en plus vrai également sur le terrain. Sur ma mission actuelle, la coordination logistique est assurée par une femme. Ça n’est pas du tout une barrière pour ces métiers. Oui il y a des choses techniques à savoir, mais c’est surtout beaucoup de management. C’est rare qu’on fasse nous-mêmes, qu’on répare un générateur nous-mêmes par exemple. C’est beaucoup plus de la gestion d’équipe et de l’organisation de tâches au sein de l’équipe.

Mon CV peut être habillé aux couleurs « responsable environnement de travail » ou « logisticien humanitaire », mon expérience va pouvoir être racontée de deux manières différentes.

Comment te vois-tu dans quelques années ?

Mon idée première, qui était de faire « moitié France, moitié international », a tout à fait changé au cours de ces 7 dernières années ! Mon poste est amené à être davantage basé au siège de l’ONG, donc peut-être que je serai un peu plus à la maison. Ma femme fait la même chose que moi, et tant qu’on veut continuer, on peut partir ensemble sur les mêmes terrains. C’est sûrement plus compliqué pour ceux qui ont des attaches à la maison. Si vous êtes absent pendant longtemps ou de manière répétée, ça amène d’autres questions au niveau de la vie familiale.

Je pense continuer encore quelques années, mais plein d’autres choses m’intéressent ! Et entre ma formation Bioforce et mes expériences terrain, ça me donne énormément de possibilités. Mon CV peut être habillé aux couleurs « responsable environnement de travail » ou « logisticien humanitaire », mon expérience va pouvoir être racontée de deux manières différentes. Avec la pandémie, le monde du travail est aussi en train de changer sur des enjeux de mobilité, avec des possibilités de faire des choses différentes. Donc si je le souhaite, les possibilités sont là !

Comment se déclenche une mission humanitaire ? Sur le terrain ou depuis le siège ?

Ce sont les besoins détectés sur le terrain qui vont décider de l’ouverture d’un programme humanitaire. Ensuite, on fait remonter des propositions au siège pour répondre à ces besoins. Elles sont validées ou pas, suivant si les budgets sont disponibles par exemple. Bien sûr en réalité c’est plus complexe : il y a des enjeux de positionnement de stratégie globale de l’organisation, ou des enjeux liés aux bailleurs de fonds, qui sont les grandes institutions qui financent les interventions humanitaires comme l’Union Européenne par exemple. Mais MSF, qui fonctionne avec 95% de fonds propres, a une grande autonomie dans ses décisions d’agir ou pas – ce qui n’est pas forcément le cas d’autres organisations qui peuvent dépendre du financement d’un bailleur de fonds pour lancer leurs interventions.

Le meilleur exemple que je peux vous donner est celui que je vis maintenant : il y a eu un énorme tremblement de terre en août dernier, on a déclenché une mission d’urgence qu’on vient de terminer en novembre. Il y a deux jours, un autre séisme a eu lieu sur la même zone. Des bâtiments fragilisés par le premier séisme se sont écroulés. Entre 1000 et 1200 familles seraient en ce moment sans maison ou dans des maisons endommagées. Qu’est-ce qu’on a fait ? On a envoyé des messages au siège pour les informer de la situation, leur dire que telle et telle ONG étaient déjà sur place, on collecte les infos au fur et à mesure et il faut aller assez vite. On part demain matin, et en une journée et demi, on doit avoir les données et la stratégie pour mon appel programmé avec le siège dans deux jours où je leur indiquerai les actions nécessaires et les montants dont on a besoin. Chez MSF on a une capacité de réaction importante parce qu’on ne dépend pas de financements externes, on en discute seulement avec le siège.

Est-ce nécessaire de maîtriser l’anglais ?

Tout dépend de l’ONG avec laquelle vous partez, et du contexte. Là, je travaille avec MSF Hollande, toutes les personnes du siège parlent anglais, donc toutes nos communications et documents sont en anglais. Quand j’étais en Grèce, en Irak ou en Afghanistan, idem. Il y a aussi beaucoup de missions francophones, notamment sur le continent africain. Si vous êtes bilingue, ça met votre CV en haut de la pile parce que ça donne cette flexibilité aux équipes RH qui s’occupent de votre parcours de pouvoir vous proposer un éventail de missions plus important, moins limité par la langue. En ce moment, si vous avez en plus l’espagnol et l’arabe, c’est encore mieux !

Quel conseil donnerais-tu à des lycéens intéressés par l’humanitaire ?

Dans la formation à Bioforce, les gens viennent de beaucoup de parcours différents, et du coup ont beaucoup de parcours différents en sortie. La formation ne grave pas quelque chose dans le marbre, et c’est ça que je trouve bien avec Bioforce : on peut faire des choses qui varient complètement, ça ouvre des portes, ça n’en ferme pas. Et dans le monde d’aujourd’hui, c’est valorisant. Enfin, certes on travaille dans des contextes compliqués, on a des responsabilités énormes, mais il ne faut pas avoir peur de se lancer car l’enrichissement qu’on en retire est incomparable.

Devenir humanitaire ​sans expérience professionnelle, c’est possible !

La formation post-bac hors Parcousup de Responsable de l’Environnement de Travail et de la Logistique Humanitaire est accessible aux 18-22 ans qui s’intéressent aux métiers de la logistique et à l’humanitaire.