Entretien avec Bénédicte Schutz, marraine de promotion 2020
Ancienne humanitaire, Bénédicte Schutz est directrice de la Coopération Internationale de la Principauté de Monaco. A l’occasion de la rentrée du Centre de formation Europe, nous avons échangé avec la marraine des futurs humanitaires en formation cette année à Bioforce.
Bénédicte Schutz, Directrice de la Coopération Internationale de Monaco
Bénédicte Schutz travaille à la Direction de la Coopération Internationale depuis 2007, où elle a occupé les postes de Responsable des programmes et d’Adjointe au directeur, avant d’en prendre le leadership en 2013. En cette qualité, elle encadre aujourd’hui une équipe de trente personnes (siège et terrain) qui gèrent la majorité du budget d’Aide Publique au Développement monégasque, soit plus de 60 millions d’euros sur 3 ans.
Après des missions bénévoles en associations, et des stages aux Nations Unies, elle s’engage de 1997 à 2002 sur le terrain auprès des ONG Handicap International et Fondation d’Auteuil, avec un focus sur le handicap, l’éducation et la jeunesse défavorisée dans les Pays en Développement.
Elle rejoint ensuite l’ambassade de France au Mali en tant que Responsable du Fonds Social de Développement du Service de Coopération et d’action Culturelle, au service de la société civile.
Déléguée de Monaco auprès de l’Organisation Internationale de la Francophonie, elle est alors en charge des affaires de coopération (2004-2007) et crée le programme de volontariat francophone.
Bénédicte Schutz est titulaire d’un master en Aide humanitaire internationale (Réseau NOHA, Aix-en-Provence, major), d’un master en Science Politique (Paris II Assas, major), et d’une licence en droit (Université de Nice). Bénédicte Schutz est décorée de la médaille de l’Ordre de Malte et de celle de Léopold Sédar Senghor de la Francophonie.
Bénédicte Schutz, vous êtes aujourd’hui directrice de la Coopération Internationale du Gouvernement de Monaco et avant ça, vous avez été une humanitaire de terrain pendant de nombreuses années. Cette année vous êtes marraine de la nouvelle promotion des élèves Bioforce. Première question, comment envisagez-vous ce rôle ?
Alors vous savez des parrains et marraines ça peut être quelque chose d’un petit peu théorique, qui ne conduit à pas grand-chose… Donc on s’est dit – puisque bien entendu je suis marraine de la promotion au titre de la Coopération Monégasque – qu’il fallait prendre ça à la fois comme une responsabilité et surtout une proximité avec les étudiants bien sûr, mais surtout avec l’école, avec Bioforce, qui est un partenaire déjà privilégié pour mille raisons et qui va l’être encore plus pendant cette année.
Dans cette situation de crise où tout est contraint, où les déplacements sont difficiles, où tout est un peu moins motivant, plus lourd (c’était plus sympa quand moi j’étais étudiante !), je pense que c’est le moment ou jamais pour donner des coups de main supplémentaires. Tout ce qui peut faciliter la vie de l’école : les bourses, le soutien aux projets locaux, le financement de l’étude sur l’état des lieux des métiers humanitaires et la convention classique qu’on a, de soutien au fonctionnement de l’école de Dakar qui nous tient particulièrement à cœur. C’est des tas de choses, petites, moyennes, ou grandes qui contribuent à ce que l’école puisse faire plus paisiblement, tranquillement, efficacement ce qu’elle a à faire et qui est essentiel : former la nouvelle génération. D’ailleurs je n’ai pas envie de dire ça parce qu’on dit beaucoup « la nouvelle génération des humanitaires » mais la réalité de l’école Bioforce, encore plus à Dakar peut-être, ici, puis en Jordanie ce sera la même chose, c’est de redonner des grands temps de pause, de réflexion, de recul et de remise en cause à ceux qui travaillent déjà dans le métier.
Pour moi, c’est presque plus important que la nouvelle génération parce que c’est la réalité de vos étudiants : ils viennent réapprendre, se poser, se remettre en question et revoir ce métier avec du recul. Ces métiers changent, donc, quelque part, la situation assez pénible qu’on vit tous est un moment idéal pour donner des coups de main qui rendent la vie un peu plus facile à ceux qui font le job.
« Vos étudiants viennent réapprendre, se poser, se remettre en question et revoir ce métier avec du recul »
Bénédicte Schutz, directrice de la Coopération Internationale du Gouvernement de Monaco
Vous l’avez évoqué, la Principauté de Monaco soutient le Centre de formation Bioforce Afrique depuis ses tout débuts. Qu’est-ce qui avait à l’origine retenu votre attention dans ce projet ? Qu’est ce qui fait que vous continuez à soutenir l’ambition de Bioforce dans ce centre régional ?
En fait, on s’est dit que Dakar arrive à un moment où c’était devenu indispensable. Peut-être qu’il aurait fallu même commencer par ça il y a trente-huit ans ! En tout cas à l’avenir, je pense qu’il y aura un besoin absolu d’école, de formation, de parcours in situ, sur les lieux de crise, près des lieux de crise, près des populations et avec des profils de professionnels qui ressemblent plus aux terrains d’intervention ; plutôt que des gens souvent plus lointains, et dont l’action devient de plus en plus chère, de plus en plus dangereuse, de plus en plus contrainte. Donc l’évidence, c’est d’être près des populations, près des lieux dans des pays où tout est plus cohérent et proche. L’école de Dakar, c’est une évidence pour nous. Vraiment, quand on y pense, on se demande pourquoi ça n’a pas été fait avant… Des raisons de financement certainement, mais il y avait un besoin immense.
D’ailleurs la demande est forte dans la sous-région [Afrique de l’Ouest et Centrale], puisque Dakar, c’est juste là où est le centre, puisqu’il y a je crois plus d’une trentaine de nationalités qui émargent ou essayent d’émarger à ces formations. Après aussi, c’est des endroits où s’autofinancer pour une formation, sortir quatre, cinq, six mille euros c’est pas du tout la même chose que de faire ça quand on est à Paris, à Lyon, à Bordeaux. Donc là, il y a un enjeu de financement et d’appui à la formation des cadres locaux qui est énorme. Et cet enjeu-là, en tant que bailleur public, même à notre niveau, relativement modéré, je souhaite vraiment que la Principauté puisse le tenir et que d’autres bailleurs publics et privés s’associent. Parce que c’est indispensable. Et si ça continue comme ça, il y aura de moins en moins de toute façon d’expatriés et c’est très bien comme ça. C’est là la transformation de la coopération. Bref on est au 21e siècle et de plus en plus, bien entendu, d’acteurs locaux sont impliqués en première ligne, en deuxième, troisième… Cette école n’a vocation qu’à grandir et à servir la sous-région. C’est notre ultime priorité.
Bioforce forme les humanitaires d’aujourd’hui, mais aussi ceux qui seront la nouvelle génération d’humanitaires. Qui sont pour vous ces humanitaires de demain ? À quoi est-ce qu’ils vont ressembler ? Et à quels enjeux spécifiques vont-ils devoir être préparés ?
Alors à la même chose que ceux d’hier, c’est-à-dire des gens à la fois engagés sans être trop idéalistes ou naïfs, compétents sans être ni procéduriers ni psychorigides tout en respectant des cadres, des process etc. Bon tout ça, ce n’est rien de bien original, mais c’est indispensable. Je pense que c’est des gens qui doivent en même temps manier la prudence de plus en plus nécessaire vu les contextes sanitaire, sécuritaire, climatique etc. Les risques et les menaces se rapprochent, se concentrent, surtout dans les régions.
Je reprends très modestement la réflexion très profonde du philosophe Nicholas Taleb dont j’ai parlé ce matin : ne pas avoir peur de grandir dans ce métier, en intégrant totalement le fait qu’il faut prendre beaucoup de précautions. Mais il faut constamment vivre en ayant en tête que de toute façon l’aléatoire, les crises, les chocs, l’imprévisibilité est centrale dans la vie en général, mais encore plus dans ces métiers. Donc il ne faut pas vouloir se prémunir absolument, mais se préparer plutôt à cet aléatoire et ça va être de plus en plus vrai.
Voilà ce que ce que je pourrais dire. Et puis, ne pas perdre de vue qu’il faut être très décomplexé sur le fait que c’est devenu un métier : on a droit d’être à la fois très engagé mais en même temps, comment dire, avoir une reconnaissance professionnelle, salariale, un statut, avoir le droit d’aller du siège au terrain et vice versa, tout en ayant une vie personnelle qui arrive à se stabiliser aussi. Parce que ce sont de vraies questions. Et en même temps, garder une passion qui soit en même temps une profession, une vocation, une mission et ce dont le monde a besoin. Voilà ! Arriver à mixer tout pour trouver un équilibre entre tout ça. Bref, un grand défi pour demain… mais passionnant !