Gobelins x Bioforce
Esmée : « Quand on a confiance en soi et en son travail, ça crée quelque chose »
Esmée a 19 ans quand elle s’est lancée dans le bachelor humanitaire de Bioforce. Parmi tous les moments forts de sa formation elle a retenu les applications terrain, des exercices grandeur nature où l’on doit travailler ensemble pour faire avancer la mission humanitaire. Son témoignage pour Bioforce a été adapté en 2023 en un court-métrage en motion design par Nicolas Béhal, étudiant à l’école d’animation des Gobelins.
« Il fallait s’ajuster en fonction de l’expérience de chacun »
Mon moment préféré dans la formation, c’était « l’Application Terrain », ça s’est passé en juin 2022. C’est un exercice grandeur nature de mission humanitaire intense : c’est la première fois que pour les besoins d’un exercice on dormait sur place pendant plusieurs jours et qu’il fallait tout gérer. On était avec des gens de tous âges et de toutes les formations, des gens avec beaucoup d’expérience, d’autres pas du tout, parfois sur des formations assez courtes, d’autres plus longues. Il fallait s’ajuster en fonction de l’expérience de chacun. C’est beaucoup de coordination de groupe, mais c’était assez chouette.
Ce qui est génial avec cet exercice, c’est qu’on a un scénario, donc l’exercice est écrit de toute pièce. C’est beaucoup de connaissances à assimiler très, très rapidement. En fait, globalement, on a un jour pour prendre connaissance du scénario de base. Une crise vient de survenir dans un pays, une réponse humanitaire d’urgence doit se déployer, des ONG doivent se préparer et faire intervenir des équipes qu’elles envoient sur place.
L’exercice dure une semaine, plus un débriefing émotionnel à la fin. Le premier jour se passe dans les locaux de Bioforce : on arrive en début de matinée, on rencontre notre groupe : personne ne se connait puisqu’on est mélangé entre toutes les formations, donc on fait un tour des prénoms. On a un briefing sur le contexte dans lequel on va intervenir, pour quelle organisation on va travailler. L’ONG pour laquelle on est supposé travailler, le pays dans lequel on intervient, le contexte géopolitique etc. Bien sûr, tout est fictif. Les formateurs qui nous suivent sont eux aussi partie prenante du jeu de rôle. On est en plus dans une démarche d’efficacité : on a un budget à gérer pour l’intendance, parce que c’est un élément très important de la logistique et de la bonne marche de la mission.
Une fois ces éléments rapidement intégrés, on va s’organiser en équipe. Chacun joue un rôle déterminé en fonction d’un organigramme très précis : il y a un ensemble de codes à intégrer et à respecter. Les rôles sont déterminés par la formation suivie (un élève expert en eau et assainissement ne va pas avoir un rôle en protection de l’enfance). Chacun va alors se mettre à courir retrouver son secteur, se documenter, chercher le matériel, entrer en coordination avec les collègues etc.
Le deuxième jour, c’est le départ : on organise un convoi de 4×4 et on conduit en direction de la campagne lyonnaise. Arrivé au terrain, on monte notre camp qui sera l’objet de tous les enjeux durant la semaine. On met en place les infrastructures. Par exemple, si vous êtes assigné à une ONG qui intervient sur des programmes en Eau, Hygiène et Assainissement, on va mettre en place des infrastructures de « WASH” (Water, Sanitation, Hygiene), c’est à dire toutes les motopompes, le montage des bladders, gérer toutes les arrivées d’eau, adapter aussi les infrastructures en fonction du terrain sur lequel on se trouve et qu’on ne choisit pas, évidemment. On installe aussi des tentes gigantesques de 10m de largeur et 3m en hauteur qui peuvent accueillir des dizaines de personnes, du matériel télécom et informatique, du matériel de couchage, des réchauds, de la nourriture. Comme on dort sur place, on est obligé de faire un montage qui tient la route parce que s’il se met à grêler en plein milieu de la nuit et que la tente s’effondre, que vous avez les pieds trempés et que vous devez mettre très vite tout le matériel à l’abri, autant vous dire que la journée suivante ne va pas très bien se passer.
Le scénario implique aussi des « évènements » qui peuvent arriver à tout moment du jour et de la nuit : contrôles, problème de sécurité etc. On a beau s’y attendre parce que ça fait partie de la légende de cet exercice, s’y être préparé et savoir que c’est une simulation, la peur paralyse des zones du cerveau. Et pour beaucoup de personnes, c’était la première fois qu’on faisait face à une « violence » (en fait des cris, des bruits, une atmosphère…) même simulée. Certains s’énervent et mettent un peu de temps à redescendre, d’autres sont tétanisés, d’autres ont simplement les bons réflexes. A la fin de la séquence, on prend le temps de retrouver nos esprits et on débriefe tous ensemble sur ce qui s’est passé pour être sûr de ne pas reproduire les erreurs et être prêt en mission.
En tout cas, c’est très intense. Emotionnellement, il y a énormément de choses qui se jouent : il y a toi, ton travail, comment ton travail va être jugé par les autres, toi par rapport aux autres, toi au sein d’un groupe, puis ce groupe vis-à-vis des autres groupes. C’est vraiment le moment où on démontre ses compétences, qu’on les met en action dans un contexte global, là où points forts et points faibles se révèlent. C’est là où tu défends tes actions, tes compétences face au groupe, face aux autres et là aussi où tu dois être capable de juger toi-même de tes points forts comme de tes faiblesses.
« C’est très intense. Emotionnellement, il y a énormément de choses qui se jouent »
J’ai été hyper fière de ce qu’on a réalisé.
C’est un challenge pour tout le monde. Il faut être patiente et intégrer le fait que gagner la confiance des gens avec qui tu vas bosser, ça prend du temps.
Je ne manque pas de confiance en moi, ni dans mes capacités intellectuelles ni d’action, mais c’est quand même un mécanisme très inconscient chez certains. Je suis une femme donc trop souvent on va revoir mes tâches à la baisse, ne pas trop m’en donner alors que je suis très demandeuse, d’où des blocages et parfois une rupture de communication. De même, je sais que je ne laisserai pas la place à des comportements sexistes ou âgistes, de gens qui voudraient me diminuer parce que je suis une femme ou que j’ai vingt ans. Quand on a confiance en soi et en son travail, ça crée quelque chose dans tous les rapports qu’on a avec les autres. Je suis hyper proactive, toujours dans la proposition et créative : ça me permet de gagner la confiance des gens.
Du coup c’est à double tranchant : j’ai commis l’erreur de prendre beaucoup trop de responsabilités : j’avais trois rôles différents en logistique. J’étais responsable de la gestion du parc véhicules, mais aussi responsable de la télécom, donc de toutes les communications HF et VHF et j’étais responsable des stocks. Au bout de quatre jours, j’étais complètement fumée, c’était la catastrophe. Parce que j’ai surestimé le temps que je pouvais fournir au travail dans une journée. Ton ego parle pour toi, c’est performatif : « Je vais tout déchirer, je vais leur montrer ». Et en fait pas du tout. Au moment du débriefing, je me suis retrouvée émotionnellement hyper fragile et j’ai pleuré comme une chaussette. Moi qui étais dans la performance, celle qui assure, j’avais l’impression d’avoir mal travaillé. Heureusement, tous les formateurs m’ont rassurée. J’ai donné tout ce que j’avais, c’était bien fait et c’est chouette.
Cet exercice, c’est 25 % de travail et après c’est 20 % de gestion émotionnelle, et tout le reste c’est la gestion de la communication en groupe, et garde quelques pourcents pour les accords toltèques. Savoir se faire confiance, ne jamais faire une affaire personnelle des choses, ne pas prendre les choses contre soi et s’adapter aux autres.
J’étais en travail de binôme avec un garçon qui avait beaucoup de connaissances techniques et pratiques, et moi j’étais beaucoup plus dans la création de nouvelles choses. Chacun était très patient et à l’écoute. Quand il y avait des points de blocage, on en discutait tous les deux. Je prenais le temps d’écouter sa manière de voir les choses, d’exprimer la mienne, et après on se mettait d’accord sur un process qui nous ressemblait à tous les deux et qui allait servir la mission qu’on était en train de remplir.
Cet exercice m’a vraiment apporté, m’a permis de prendre conscience de tout ce que je pouvais apporter, du fait que je bossais bien, mais qu’il fallait que je mette mes limites et ne pas croire que je suis surhumaine.
J’ai été hyper fière de ce qu’on a réalisé.